Lettre d'information des Acteurs du Sport N° 453 - 13/05/2014

Publié le 13 Mai 2014

Lettre d'information des Acteurs du Sport N° 453 - 13/05/2014

Valenciennes, relégué en Ligue 2, victime de la malédiction des nouveaux stades ?

« Un barbu, c’est un barbu. Trois barbus, c’est des barbouzes ! » Après Grenoble et Le Mans, Valenciennes est, dans l’ordre chronologique, la troisième aire urbaine à avoir inauguré, en grandes pompes, un stade de football dont l'exploitation a été confiée à un partenaire privé (soit dans le cadre d’un Partenariat Public Privé (PPP), soit par Délégation de Service Public (DSP)). Quelques mois d’exploitation plus tard, et selon une même chronologie, le club local se voit relégué en ligue inférieure. Certes, les trois situations ne sont pas parfaitement comparables -et pas toutes aussi dégradées que celle du Mans (le club, liquidé judiciairement, évolue désormais en DH)-, mais la coïncidence est troublante : les clubs semblent voir leur situation financière et sportive se dégrader corrélativement à leur entrée dans la nouvelle enceinte.

A priori, il n’y a aucun lien de cause à effet entre la construction, par une municipalité, d’un stade de football aux frais du contribuable et les infortunes du club résident. Mais, l’examen détaillé des circonstances des infortunes grenobloises, mancelles et valenciennoises laisse poindre un troublant trait commun : le nouveau stade, surdimensionné, nourrit la mégalomanie des dirigeants. Il n’est pas si loin le temps où Henri Legarda, l’ancien président du Mans FC, clamait son projet de voir le club entrer durablement dans le top 50 des clubs européens… Il rivalise aujourd’hui avec l’ES Bonchamp-les-Laval et l’AS Mulsanne-Téloché dans la champêtre ligue du Maine. Il y a quelques années, pourtant, rien n’était trop beau pour ce club qui avait révélé Drogba, Basa ou Gervinho. Il fallait se doter de toutes les infrastructures d’un grand club et de l’armée de ses salariés. Il fallait recevoir fastueusement et séduire les acteurs influents du monde du football. Que le nouveau stade fit 25 000 places pour un club qui réunissait péniblement 8 000 spectateurs chaque quinzaine ne faisait tiquer que les esprits chagrins.

Quand la DNCG vint scruter les comptes du club, en 2012, les pertes avouées étaient déjà telles que le gendarme financier du football français décida de reléguer le club sarthois en championnat national. Le recours du club, qui lui permit de se maintenir in extremis, ne fit qu’aggraver la situation structurellement déficitaire : les charges liées à son nouveau train de vie pesaient d’un poids excessif sur les comptes d’un club qui ne réunissait déjà plus que 6 000 spectateurs à chaque match. Quand on « souleva le tapis », à la fin du 1er semestre 2013, les pertes s’élevaient à plus de 14 millions d’euros... Celles du Valenciennes FC, le tout nouveau relégué en Ligue 2 ne seraient « que » de 10 millions d’euros. Suffisantes malgré tout pour faire craindre une rétrogradation administrative en championnat national (ou en CFA) ou, pire, un dépôt de bilan. Le président Jean-Raymond Legrand a certes englouti beaucoup d’argent dans ce club dont il est passionné, mais il n’a, pas plus que son homologue Legarda, su résister à la dérive mégalomaniaque corrélative à l’entrée dans un nouveau stade luxueux.

Dans le cas des PPP (c’est le cas des stades du Mans, du Havre, de Lille, de Nice, de Bordeaux, …), la construction de l'infrastructure se fait avec un financement, en tout ou partie, par le partenaire privé. En contrepartie, ce dernier (en réalité, toujours une filiale du groupe Vinci, Bouygues ou Eiffage) obtient l’exploitation de l’équipement pendant une trentaine d’années et un loyer annuel versé par les collectivités territoriales (et le club). Les PPP sont réputés avoir deux vertus : la rapidité de construction de l’infrastructure et la qualité de la réalisation. En effet, intéressé aux recettes engendrées par l’activité liée à l’infrastructure, le concessionnaire exploitant soigne la qualité de son travail et les délais. Mais les PPP ont aussi deux gros défauts : l’inclination au sur-dimensionnement et une facture salée pour le contribuable. Puisque le concessionnaire exploitant est intéressé aux recettes engendrées par l’activité de l’infrastructure, il pousse les collectivités ou l’Etat à exagérément dimensionner l’équipement (un stade de 25 000 places là où 17 000 auraient suffi, avec des équipements luxueux jusque dans les matériaux utilisés pour les toilettes) et fait payer aux contribuables un prix final bien supérieur à ce qu’aurait coûté un emprunt public traditionnel.

Il semble qu'il faille maintenant considérer un écueil supplémentaire : loin d'être un gage de succès et de prospérité, un nouveau stade semble être, pour des clubs de bas de tableau, un fardeau trop lourd à porter. L'équation "nouveau stade = plus de cash", claironnée par la Ligue de Football depuis 2006 ne serait-elle pas un peu simpliste ?

Lettre d'information des Acteurs du Sport N° 453 - 13/05/2014

JO, Coupe du monde, Euro : un gouffre financier, forcément ?

L'organisation, jugée trop coûteuse, du Mondial 2014 a éveillé la colère du peuple brésilien. Mais un grand événement sportif plombe-t-il toujours l'économie du pays qui le prend en charge ?

Deux cent milliards de dollars. Selon une étude du cabinet Deloitte, c’est ce que le Qatar prévoit de dépenser pour organiser la Coupe du monde de football 2022. Un chiffre qui rend tous les autres dérisoires.

Au Brésil, le coût de la Coupe du monde est pour l’instant estimé à 11 milliards d’euros : trois fois rien comparé au Mondial qatari mais suffisant pour éveiller la colère.


Parmi les principales revendications des manifestants au Brésil, le coût des événements sportifs – Coupe du monde puis JO – organisés en 2014 et 2016.

Notamment parce que les budgets de rénovation des stades ont explosé : les travaux du stade Mané-Garrincha, par exemple, à Brasilia, devaient coûter 250 millions d’euros. La facture définitive se chiffre à plus de 500 millions.

Pour les prochains JO d’hiver, organisés à Sotchi (Russie), la situation financière est encore pire : de 12 milliards de dollars, le budget des JO 2014 est passé à 50 milliards, un record absolu dans l’histoire des Jeux.

Un phénomène classique : les coûts prévus initialement sont souvent dépassés. Quand une ville se porte candidate, elle doit proposer une étude estimant les coûts et les retombées de l’événement.

Joint par Rue89, l’économiste du sport Wladimir Andreff explique que ces études sont "la plupart du temps faites n’importe comment" pour trois raisons :

  • la première est politique : "Il y a des conflits d’intérêts, tout simplement. Les sociétés de consulting ne peuvent pas remettre aux maires des études facturées quelques millions d’euros et qui disent “Laissez tomber, c’est un mauvais projet”. Elles ne seraient plus jamais sollicitées..." ;
  • la deuxième est méthodologique : "L’étude d’impact économiquecompte souvent des choses qui ne devraient pas être comptabilisées. Par exemple, pour les JO d’Athènes, comme pour la Coupe du monde en Afrique du Sud, les études prévoyaient un boom du tourisme grâce à l’événement, alors qu’il y a eu une chute du nombre de touristes en Grèce l’année des Jeux.
    Il y a aussi des effets de substitution : tout ce que les gens dépensent est comptabilisé comme revenus pour les Jeux mais on oublie de se demander ce que les gens auraient fait de leur argent si les Jeux n’avaient pas été organisés."
  • "Il y a enfin un vice plus fondamental, ce qu’on appelle la malédiction du vainqueur de l’enchère. Le meilleur moyen de gagner, c’est de tricher un peu, de biaiser l’information. La ville qui est choisie en fin de compte est “piégée” : elle obtient les Jeux, mais elle obtient aussi un déficit financier quasi certain."

Ces coûts sont de trois types :

  • les coûts d’organisation sont pris en charge par le CIO, qui abonde le comité d’organisation des Jeux avec les droits de retransmission, les revenus apportés par les sponsors, etc. ;
  • le coût des équipements sportifs : le CIO y participe, mais les collectivités locales règlent une bonne partie de la facture ;
  • les coûts des infrastructures non-sportives : aéroports, RER, autoroutes, etc. Entièrement pris en charge par les collectivités, ce sont principalement eux qui provoquent les dépassements de de budgets.

Souvent, les recettes directes – billetterie, droits télé, sponsors – ne parviennent pas à couvrir les coûts d’organisation, sans même parler des dépenses d’infrastructure.

Et quand le comité d’organisation est déficitaire, c’est la municipalité qui doit rembourser. Le record en la matière est détenu par les JO de Montréal, en 1976. Les contribuables québécois ont fini de les payer trente ans plus tard.

Parmi les éditions récentes, les comités d’organisation des Jeux de Sydney, Salt Lake City, Athènes, Turin ou Vancouver ont eux aussi été déficitaires.

Mais les défenseurs des Jeux assurent qu’à long terme, les Jeux sont généralement rentables pour l’économie du pays grâce aux recettes indirectes qu’ils génèrent.

C’est par exemple ce qu’assurent les organisateurs des JO de Londres. Un an après, le gouvernement britannique affirme que les retombées des Jeux se chiffrent à 9,9 milliards de livres alors qu’ils en ont coûté 9. Certes ils devaient coûter initialement 2 milliards... Mais tout va bien puisque les retombées sont plus importantes que prévu. Trop beau pour être vrai ? C’est le point de vue de Wladimir Andreff :

L’économiste regrette l’absence d’études indépendantes pour étayer ces affirmations :

A défaut détudes systématiques et objectives sur la rentabilité à long terme de ces évènements sportifs, le débat sur leur pertinence pour l’économie d’un pays ne sera jamais tranché. On peut donc déjà anticiper les polémiques sur l’organisation de l’Euro 2016 en France.

Le coût de rénovation ou de construction des stades est déjà estimé à 1,7 milliard, dont plus d’un milliard pour les collectivités malgré des financements par partenariats public-privé. Parmi les causes de surcoût, les normes drastiques imposées par l’UEFA. C’est justement ce qui pose problème selon l’économiste Jean-Pascal Gayant :

Pour l’heure, cette question de la "rentabilité" de l’Euro 2016 ne fait pas la une de l’actualité. Ce n’est qu’une question de temps, selon Jean-Pascal Gayant :

Plusieurs solutions sont envisagées pour éviter ce déficit récurrent. L’organisation d’une compétition sur plusieurs pays, comme l’Euro 2020, est jugée pertinente par Wladimir Andreff et Jean-Pascal Gayant. La solution la plus radicale serait d’attribuer définitivement chaque événement sportif à un pays.

A l’occasion du centenaire des Jeux, la Grèce avait proposé Olympie comme site définitif. Une bonne idée du point de vue comptable mais qui n’a aucune chance de voir le jour, selon Wladimir Andreff :

Jean Saint-Marc

Rédigé par Master SEST

Publié dans #Lettre d'information des Acteurs du Sport

Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :